Métrique en Ligne
BAN_1/BAN32
Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE DEUXIÈME
CEUX QUI MEURENT ET CEUX QUI COMBATTENT
V
LA VIE ET LA MORT
J'ai vu ces songeurs, ces poëtes, 8 a
Ces frères de l'aigle irrité, 8 b
Tous montrant sur leurs nobles têtes 8 a
Le signe de la vérité. 8 b
5 Et près d'eux, comme deux statues 8 a
Qui naquirent d'un même effort, 8 b
Se tenaient, de blancheur vêtues, 8 a
Deux vierges, la vie et la mort. 8 b
J'ai vu le mendiant Homère, 8 a
10 Le grand Eschyle au cœur sans fiel, 8 b
Chauve, et dans sa vieillesse amère 8 a
Insulté par le vent du ciel ; 8 b
J'ai vu le lyrique Pindare, 8 a
L'élève divin de Myrtis 8 b
15 Dont un roi prenait la cithare, 8 a
Comme le chevreau broute un lys ; 8 b
J'ai vu mon père Aristophane 8 a
Blessé par des mots odieux, 8 b
Et devant le peuple profane 8 a
20 Défendant Eschyle et ses dieux ; 8 b
J'ai vu buvant la sombre lie 8 a
De ses calices triomphants, 8 b
Sophocle, accusé de folie 8 a
Et maltraité par ses enfants ; 8 b
25 J'ai vu portant l'affreux stigmate, 8 a
Ovide fugitif, buvant 8 b
Le lait d'une jument sarmate 8 a
Au désert glacé par le vent ; 8 b
J'ai vu Dante en exil, et Tasse 8 a
30 Abandonné par sa raison, 8 b
Collant sa face morne et lasse 8 a
Aux noirs barreaux de sa prison. 8 b
Pareil au lion qui soupire 8 a
Sous le vil fouet de ses gardiens, 8 b
35 Hélas ! J'ai vu le dieu Shakspere 8 a
Aux gages des comédiens ; 8 b
J'ai vu Cervantes, pauvre esclave, 8 a
Au bagne exhalant ses sanglots, 8 b
Et Camoëns sanglant et hâve 8 a
40 Luttant dans l'écume des flots ; 8 b
J'ai vu, tant le destin se joue 8 a
En des caprices insensés, 8 b
Corneille marchant dans la boue 8 a
Avec ses souliers rapiécés, 8 b
45 Et Racine, cet idolâtre, 8 a
Tombant les regards éblouis 8 b
Par le tonnerre de théâtre 8 a
Que lançaient les yeux de Louis, 8 b
Et Chénier, dont le trait rapide 8 a
50 Atteignait sa victime au flanc, 8 b
Versant sur l'échafaud stupide 8 a
La belle pourpre de son sang. 8 b
Brillant de la splendeur première, 8 a
Tous ces grands exilés des cieux, 8 b
55 Tous ces hommes porte-lumière 8 a
Avaient des astres dans leurs yeux. 8 b
Lorsqu'elle frappait notre oreille 8 a
Avec le bruit du flot amer, 8 b
Leur voix immense était pareille 8 a
60 À la tumultueuse mer, 8 b
Et leur rire plein d'étincelles 8 a
Semblait lancer dans l'aquilon 8 b
Des flèches pareilles à celles 8 a
De l'archer Phœbus Apollon. 8 b
65 Pourtant sans foyer et sans joie, 8 a
Sous les cieux incléments et froids 8 b
Ils traînaient leur misère, proie 8 a
De la foule, ou jouet des rois. 8 b
Et dans ses colères, la vie, 8 a
70 Brisant ce qui leur était cher, 8 b
D'une dent folle, inassouvie, 8 a
Mordait cruellement leur chair. 8 b
Les mettant dans la troupe vile 8 a
Des mendiants que nous raillons, 8 b
75 Elle les poussait dans la ville 8 a
Affublés de sombres haillons ; 8 b
Sur eux acharnée en sa rage, 8 a
Et voulant les réduire enfin, 8 b
Elle leur prodiguait l'outrage, 8 a
80 La pauvreté, l'exil, la faim, 8 b
Et les pourchassait, misérables 8 a
Qui n'espèrent plus de rachats, 8 b
Ayant tous leurs fronts vénérables 8 a
Souillés de ses impurs crachats ! 8 b
85 Mais enfin la compagne sûre 8 a
Venait ; la radieuse mort 8 b
Lavait tendrement la blessure 8 a
De leurs seins exempts de remord. 8 b
Ainsi que les mères farouches 8 a
90 Qui sont prodigues du baiser, 8 b
Elle les baisait sur leurs bouches 8 a
Doucement, pour les apaiser. 8 b
Sous leurs pas, ainsi qu'une Omphale, 8 a
Elle étendait au grand soleil 8 b
95 La rouge pourpre triomphale 8 a
Pour leur faire un tapis vermeil, 8 b
Et sur leurs fronts brillants de gloire 8 a
Devant le peuple meurtrier, 8 b
Avec ses belles mains d'ivoire 8 a
100 Elle attachait le noir laurier. 8 b
mètre profil métrique : 8
forme globale type : suite périodique
schéma : 25(abab)
logo du CRISCO logo de l'université