Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BAN_1/BAN28
Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE DEUXIÈME
CEUX QUI MEURENT ET CEUX QUI COMBATTENT
I
LA LYRE MORTE
Ce que je veux rimer,c'est un conte en sixains. 6+6 a
Surtout n'y cherchez pasla trace d'une intrigue. 6+6 b
L'air est sans fioritureet le fond sans dessins. 6+6 a
D'abord j'ai de tout tempsexécré la fatigue, 6+6 b
5 Puis je n'ai jamais euque des gts forts succincts 6+6 a
Pour l'intérêt nerveuxque le vulgaire brigue. 6+6 b
La Chimère est debout :marche, Bellérophon ! 6+6 a
Quel est donc mon sujet ?Je l'avais dans la tête. 6+6 b
Ah ! Voici. Le héros,madame, est un poëte, 6+6 b
10 C'est-à-dire ce monstreoublié par Buffon 6+6 a
Dans la liste des ours,dont on fait un bouffon 6+6 a
Pour égayer son hôteà la fin d'une fête. 6+6 b
C'était un pauvre hère.Il s'appelait Henri. 6+6 a
Il n'était pas marquis,ni gendarme, ni comte. 6+6 b
15 C'était un de ces nainsau regard aguerri 6+6 a
Dont l'orgueil est coulédans un moule de fonte, 6+6 b
Gueux de peu de valeurqui rimaillent sans honte, 6+6 b
Et que vous laissez làpour le chat favori. 6+6 a
Et vous faites fort bien.Mais nous, c'est autre chose : 6+6 a
20 Une larme du cœurest pour nous un trésor. 6+6 b
Notre âme en pleurs s'éveilleau parfum d'une rose 6+6 a
Et tressaille au zéphyr passe un chant de cor, 6+6 b
Sur l'oreiller de pierre notre front se pose. 6+6 a
Tout ce que nous touchonsa des paillettes d'or. 6+6 b
25 Excusez donc, par grâce,une douce manie. 6+6 a
Je reprends mon langage.Au fait, il m'en ctait. 6+6 b
L'huissier a bien le droitd'écrire son protêt 6+6 b
Dans un hideux patoisque l'univers renie : 6+6 a
Je puis jeter le masque,et mon héros était 6+6 b
30 Ce que nous appelonsun homme de génie. 6+6 a
Il vivait seul chez luicomme un vieux hobereau, 6+6 a
N'ayant jamais voulude femme pour mtresse. 6+6 b
Mais il avait sa museet la folle paresse, 6+6 b
Et près de sa fenêtreun bouquet de sureau : 6+6 a
35 Pour employer son temps,il mettait son ivresse 6+6 b
À noircir du papierdevant un vieux bureau. 6+6 a
Une telle existenceest pour tous un mystère 6+6 a
Que je veux expliquer,et que je devrais taire. 6+6 a
Quand on est ainsi fait,on vit bien autrement 6+6 b
40 Que ne vit le prochainsur cette pauvre terre : 6+6 a
La douleur est pour l'âmeun fécond aliment, 6+6 b
Et l'âme est un foyerqui s'endort rarement. 6+6 b
Le poëte est torducomme était la sybille. 6+6 a
Quand un livre sincèreest jusqu'à moitié fait, 6+6 b
45 On sent qu'on a besoind'air et qu'on étouffait. 6+6 b
On va se promeneren courant par la ville, 6+6 a
Car l'inspiration,brisant le front débile, 6+6 a
Pour celui qui la portea le poids d'un forfait. 6+6 b
On sent que comme l'aigleon domine la foule, 6+6 a
50 Qu'on est le vrai liende la terre et du ciel, 6+6 b
Qu'on retient seul du doigtla croyance qui croule 6+6 a
Et qu'on mourra pourtantcomme les deux Abel, 6+6 b
Car on a comme eux deuxun sang divin qui coule 6+6 a
Pour teindre le gibetet pour laver l'autel. 6+6 b
55 Puis, on ne comprend pasqu'une hymne aussi parfaite 6+6 a
Ait mûri jusqu'au boutdans ce cadavre humain. 6+6 b
On se demande alorsqui vous a fait prophète 6+6 a
Et qui vous conduisaitdans cet ardent chemin, 6+6 b
Vous, travailleur obscur,à qui les grands, du fte, 6+6 a
60 Jetteraient une obole,en passant, dans la main ! 6+6 b
Henri s'entortillaitdans cette étrange trame, 6+6 a
Sur le bitume gris,près du diorama, 6+6 b
Lorsque vint à passer,dans sa gloire, une femme 6+6 a
Dont l'attrait merveilleuxle prit et le charma, 6+6 b
65 Comme s'il t pu voirHélène De Pergame. 6+6 a
Il regarda longtempscette femme, et l'aima. 6+6 b
Elle avait, cher lecteur,une fort belle gorge, 6+6 a
Un cachemire noirsouple comme un collier, 6+6 b
Brodé d'argent et d'ordans un gt singulier, 6+6 b
70 Des doigts fins et longs, telsque l'amour grec en forge, 6+6 a
Et de plus le profilsuperbe et régulier 6+6 b
Comme l'avait jadisMademoiselle George, 6+6 a
Son front païen t misCorinthe en désarroi ; 6+6 a
Ses cheveux étaient longs «comme un manteau de roi », 6+6 a
75 Son nez beaucoup plus purqu'on ne se l'imagine ; 6+6 b
Ses pieds savaient contertoute son origine, 6+6 b
Enfin, cette autre Isisdes bas-reliefs d'Égine 6+6 b
Avait la lèvre rougeà donner de l'effroi. 6+6 a
Je ne veux pas conterune bonne fortune. 6+6 a
80 Ces histoires d'amourfont un énorme bruit ; 6+6 b
En somme cependant,quand on en connt une, 6+6 a
On peut savoir à quoile reste se réduit. 6+6 b
Je ne dirai donc pascomment la belle brune 6+6 a
Prit Henri pour amantun jour, non, une nuit. 6+6 b
85 Henri vers le bonheurs'avança les mains pleines, 6+6 a
Il courut à l'amourcomme au cirque un martyr. 6+6 b
Venant comme quelqu'unqui ne doit pas partir, 6+6 b
Il y jeta d'un coupses bonheurs et ses haines, 6+6 a
Comme aux marbres du bainles bacchantes romaines 6+6 a
90 Leurs essences d'Émèseet leurs parfums de Tyr. 6+6 b
Dans la vénus de chairqu'il avait asservie 6+6 a
Il trouva sa parureet son rhythme et sa vie, 6+6 a
Et s'en enveloppacomme d'un vêtement. 6+6 b
Toute féliciténous est trop tôt ravie ! 6+6 a
95 Il s'apeut un soir,oh rien ! Tout bonnement 6+6 b
Que son rhythme et sa vieavait un autre amant. 6+6 b
Comme il ne singeait pasl'Othello de banlieue, 6+6 a
Il ne tua personne.Hélas ! à pas comptés 6+6 b
Il sortit sans courroux,fit une bonne lieue, 6+6 a
100 Rentra, puis, allumantsa cigarette bleue, 6+6 a
La mtresse qu'on asans infidélités, 6+6 b
Se dit, je sais encorce qu'il dit : écoutez ! 6+6 b
Puisque la seule enfantqui pouvait sur la terre 6+6 a
Étreindre ma penséeet toutes ses splendeurs 6+6 b
105 A refusé sa lèvreau fruit qui désaltère 6+6 a
Et comme un vieux haillonrejeté mes grandeurs, 6+6 b
J'achèverai tout seulma course solitaire, 6+6 a
Et nul ne conntrames sourdes profondeurs. 6+6 b
Passez autour de moi,femmes riches et belles ! 6+6 a
110 Je pourrais d'un seul motconserver ces appas 6+6 b
Qui jauniront demainsous vos blanches dentelles ; 6+6 a
Mais ce mot infiniqui vous rend immortelles 6+6 a
Est mon secret à moique je ne dirai pas, 6+6 b
Et la droite du tempseffacera vos pas ! 6+6 b
115 Ô lutteurs gangrenés !Mourantes populaces ! 6+6 a
Je sais sous quel fardeause courbent vos audaces, 6+6 a
Et ma parole d'orallégerait vos pas. 6+6 b
Je pourrais ramenerle bonheur sur vos places 6+6 a
Et sécher la sueurqui mouille vos repas ; 6+6 b
120 Mais ce mot qui guérit,je ne le dirai pas ! 6+6 b
Je veux voir le vieux mondeélaborer le crime 6+6 a
Sous le marteau pesantde la fatalité, 6+6 b
Seul, muet, dédaigneuxde l'éternelle cime, 6+6 a
Avare de ma forceet de ma liberté, 6+6 b
125 Ne me souciant plusque le vol de la rime 6+6 a
Emporte mes hérosdans l'immortalité ! 6+6 b
Mais comment acheverle tableau que j'ébauche, 6+6 a
Et que se passa-t-ilentre sa muse et lui ? 6+6 b
C'est de la nuit profonde, nul rayon n'a lui. 6+6 b
130 Un serpent le rongeaitsous la mamelle gauche. 6+6 a
Ont-ils fait de l'amourou bien de la débauche ? 6+6 a
Je ne le savais pas,je le sais aujourd'hui. 6+6 b
Un jour la pâle mortvint frapper à sa porte ; 6+6 a
Il la fit rafrchir,rajusta son bonnet, 6+6 b
135 Et la complimentasi bien, qu'il fit en sorte, 6+6 a
Avec son agrément,de finir un sonnet. 6+6 b
Puis il offrit sa mainpour lui servir d'escorte ; 6+6 a
Ce fut au mieux. Voilàtout ce qu'on en connt. 6+6 b
Or, ce pauvre Henri,dont la mémoire est vide, 6+6 a
140 Fut le dernier chanteurà qui l'Aganippide 6+6 a
Montrait sa chair de neigeet sa fauve toison, 6+6 b
Et nous sommes restéspour fermer la maison. 6+6 b
Aussi, quand vous railleznotre horde stupide, 6+6 a
Vous autres gens d'esprit,vous avez bien raison ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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