Métrique en Ligne
ARV_1/ARV1
Félix ARVERS
POÉSIES
1833
Préface
A MON LIVRE
O toi ! mon premier né, qu'une amour maternelle 6+6 a
A nourri de son lait et couvé de son aile, 6+6 a
Qui grandis sans effort, enfanté librement, 6+6 b
A mes heures de calme et de recueillement ; 6+6 b
5 Avant de te livrer, pauvre enfant, aux orages 6+6 a
De cette mer houleuse et féconde en naufrages. 6+6 a
Et de t'abandonner à la grâce de Dieu, 6+6 b
Que je te parle encor, que je te dise adieu ! 6+6 b
Hélas ! je ne sais pas à quelles destinées 6+6 a
10 Dieu réserve la part qu'il ma faite d'années, 6+6 a
Et s'il ne voulut pas, aux flancs qui t'ont porté. 6+6 b
Accorder la puissance et la fécondité. 6+6 b
Quoiqu'il puisse advenir, dût-il sur cette terre 6+6 a
Te laisser cheminer obscur et solitaire, 6+6 a
15 Ou, comme au vieux Jacob, daignât-il m'envoyer 6+6 b
Douze fils grands et beaux s'ébattre à mon foyer. 6+6 b
C'est sur toi que je veux, sur toi, tête chérie, 6+6 a
Verser tous les trésors de mon idolâtrie ! 6+6 a
Dieu pourra m'en donner qui seront plus parfaits, 6+6 b
20 Mais, nous autres parens, nous sommes ainsi faits ; 6+6 b
Nous avons par momens d'étranges préférences : 6+6 a
C'est sur toi que j'ai mis toutes mes espérances, 6+6 a
Comme ces vieux barons, prévenus en secret 6+6 b
Pour un coquin de fils, pilier de cabaret. 6+6 b
25 Pâture d'usuriers et coureur de Julies, 6+6 a
Qui trouvaient une excuse à toutes ses folies, 6+6 a
Sans pouvoir de cela donner d'autre raison 6+6 b
Sinon que c'était lui l'aîné de sa maison. 6+6 b
Et cependant voilà que pour une fumée, 6+6 a
30 Pour l'éclair d'un instant qu'on nomme renommée, 6+6 a
Pour vouloir follement attacher à mes pas 6+6 b
Un misérable bruit que l'on n'entendra pas. 6+6 b
J'ai troublé le repos de ta douce retraite, 6+6 a
J'ai découvert à tous ta nudité secrète, 6+6 a
35 Et déchiré le voile où tu t'étais caché, 6+6 b
Comme une belle esclave au milieu d'un marché. 6+6 b
Au moins, pauvre petit, avant que je t'envoie, 6+6 a
Ainsi que ces enfans de la vieille Savoie, 6+6 a
Faire ton tour du monde, et que jusqu'au chemin 6+6 b
40 J'aille te reconduire en te donnant la main. 6+6 b
N'as-tu rien oublié de ton petit bagage ? 6+6 a
Perdu dans cette foule, ignorant son langage, 6+6 a
Le début sera rude, et je dois t' avertir 6+6 b
Que bien long-temps peut-être il te faudra pâtir ; 6+6 b
45 Mais contre leur mépris et leur indifférence, 6+6 a
Sois homme de courage et de persévérance, 6+6 a
Crains toujours le bon Dieu, reste honnête garçon, 6+6 b
Et suis toujours ta route en chantant ta chanson. 6+6 b
Il en passera bien qui n'y prendront pas garde, 6+6 a
50 Mais il n'en faut qu'un seul qui s'arrête et regarde, 6+6 a
Pour que tous aussitôt s'en viennent se presser 6+6 b
Pour entendre ta vielle et pour te voir danser. 6+6 b
C'est le commencement de plus d'une fortune ; 6+6 a
Enfin, l'on ne sait pas ! peut-être il en est une 6+6 a
55 Qui t'attend toute prête, et que tu trouveras 6+6 b
Un beau jour à ta porte et t'ouvrant ses deux bras. 6+6 b
Hélas ! hélas ! que dis-je ? illusion d'un père 6+6 a
Qui croit ce qu'il désire et voit ce qu'il espère ! 6+6 a
Mon fils, nous sommes nés dans un siècle maudit, 6+6 b
60 Où l'amour de la force a perdu son crédit ; 6+6 b
Une morte-saison d'art et de poésie, 6+6 a
Où le désir de l'or, avide frénésie. 6+6 a
Au fond du cœur de l'homme est venu comprimer 6+6 b
Tous les nobles penchans qui voudraient y germer. 6+6 b
65 Notre âge est une ville aux murs de cent coudées, 6+6 a
Les fossés sont pleins d'eau, les portes bien gardées, 6+6 a
Et l'art, pauvre proscrit, n'y peut, comme Sinon, 6+6 b
Pénétrer que par ruse et sous un autre nom. 6+6 b
Jusqu'au moment peut-être où Dieu fera descendre 6+6 a
70 Des monts de Thessalie un nouvel Alexandre, 6+6 a
Un de ces hommes forts qu'il a, dès le berceau, 6+6 b
Marqués lui-même au front, et scellés de son sceau ; 6+6 b
Qui, repoussant du pied toute ruse vulgaire. 6+6 a
Viendra contre ces murs pousser son char de guerre. 6+6 a
75 Et sur ces hauts remparts fondra comme un vautour. 6+6 b
Dans son ardente serre étreignant chaque tour ; 6+6 b
Si bien que sous ses coups les antiques murailles 6+6 a
Se sentent tressaillir au fond de leurs entrailles, 6+6 a
Et que l'art, par la brèche, entre dans la cité 6+6 b
80 Sur le char du vainqueur, debout à son côté ! 6+6 b
C'est un garçon d'esprit qui savait son affaire, 6+6 a
Celui qui, tout imberbe encor, venant de faire 6+6 a
Un livre, premier fruit de son jeune talent. 6+6 b
Qui va, suivant sa route, et s'accroît en allant, 6+6 b
85 Sentit que, dans un siècle aussi peu poétique. 6+6 a
Pour fixer les regards de ce monde apathique. 6+6 a
Il fallait arborer au coin de son chapeau 6+6 b
Quelque chose d'étrange en guise de drapeau. 6+6 b
Attacha d'un seul mot et d'un seul trait de plume, 6+6 a
90 Une aigrette bizarre au front de son volume. 6+6 a
Et, pour sauver son nom de cette mer d'oubli. 6+6 b
Un beau jour inventa le fameux point sur l'i ! 6+6 b
On s'est fort récrié : toutes les coteries 6+6 a
Ont assommé l'auteur de mille espiègleries ; 6+6 a
95 Mais toujours gagna-t-il ce qu'il avait voulu : 6+6 b
Si beaucoup ont raillé, c'est que beaucoup ont lu ; 6+6 b
Et dans tous ces lecteurs, plus d'une sympathie 6+6 a
Pour l'auteur et ses vers fut bientôt ressentie : 6+6 a
Le livre s'est fait jour, et pas un n'a pensé 6+6 b
100 Qu'il donnait dans un piège habilement dressé, 6+6 b
Et que le jeune auteur qui s'ouvrait la carrière, 6+6 a
Laissant crier la foule, était là par derrière, 6+6 a
En voyant ce que c'est que des pauvres humains, 6+6 b
A rire des rieurs et se frotter les mains ! 6+6 b
105 Encor, lorsqu'il parut, il faut le reconnaître. 6+6 a
Le temps était moins rude et plus propice à naître : 6+6 a
De poésie et d'art les hautes questions 6+6 b
Avaient dans plus d'un cœur trouvé des passions : 6+6 b
La dispute chauffait, et la littérature 6+6 a
110 Revenait au beau temps de monsieur de Voiture, 6+6 a
Où quinze jours entiers Paris s'entretenait 6+6 b
De l'apparition d'un conte ou d'un sonnet. 6+6 b
Tout allait à ravir : les lettrés du parterre 6+6 a
Se gourmaient chaque soir pour ou contre Voltaire ; 6+6 a
115 On s'injuriait fort : nous étions galamment 6+6 b
Hués, siffles, honnis : enfin, c'était charmant ! 6+6 b
On prenait garde à nous, et cette polémique 6+6 a
Redonnait quelque souffle au spectre académique ; 6+6 a
En cet heureux état Juillet nous a trouvés, 6+6 b
120 Juillet qui tua l'art sous un tas de pavés. 6+6 b
Ce nouvel âge d'or, temps ou chaque querelle 6+6 a
Avait de chauds amis prêts à lutter pour elle, 6+6 a
Où messieurs de l'Empire et tous les beaux esprits 6+6 b
Nous jetaient à l'envi la boue et le mépris. 6+6 b
125 Hélas ! il est passé, sans espoir qu'il renaisse ! 6+6 a
— Et comme, en rappelant les jours de sa jeunesse, 6+6 a
Sophie Arnould parfois disait à quarante ans : 6+6 b
« J'étais bien malheureuse ! ah ! c'était le bon temps ! » 6+6 b
Quand l'aigle impérial du feu de sa prunelle 6+6 a
130 Fascinait l'univers qui tremblait sous son aile. 6+6 a
Quiconque au seul aspect de toutes ces splendeurs 6+6 b
Sentait bondir en soi quelques nobles ardeurs, 6+6 b
Suivait, comme un fanal, l'auréole éclatante 6+6 a
Qui rayonnait au front du géant sous la tente ; 6+6 a
135 Chaque cœur de jeune homme en secret tourmenté 6+6 b
Par quelque soif de gloire et de célébrité, 6+6 b
S'en venait rafraîchir le feu de son haleine 6+6 a
A ces flots épanchés de sa main toujours pleine. 6+6 a
Ainsi qu'un fleuve antique, au milieu des roseaux, 6+6 b
140 Verse éternellement le trésor de ses eaux ; 6+6 b
Chacun parmi les morts, sur les champs de bataille, 6+6 a
Finissait par trouver une armure à sa taille ; 6+6 a
Et le grand chef avait dans chaque nation 6+6 b
Un trône tout dressé pour chaque ambition. 6+6 b
145 Aujourd'hui plus d'essor : toute jeune pensée, 6+6 a
Dans un réseau fangeux tristement enlacée, 6+6 a
Veut inutilement demander à nos monts 6+6 b
L'air libre et pur du ciel qui manque à ses poumons. 6+6 b
La seule issue ouverte, étroite et méphitique, 6+6 a
150 Conduit tout droit son homme à l'antre politique, 6+6 a
Atmosphère pesante, où les ambitions 6+6 b
Luttent dans un bourbier de sales passions. 6+6 b
Dieu n'a pas dans mon cœur mis assez d'énergie 6+6 a
Pour affronter l'odeur de cette tabagie, 6+6 a
155 Et je rends un mépris bien franc et bien profond 6+6 b
Pour tout le pauvre bruit que ces gens-là nous font. 6+6 b
C'est parce qu'à leur œuvre étrange et bigarrée 6+6 a
Je crois que Dieu surtout refusa la durée, 6+6 a
Et suis un de ces gens prêts à vous soutenir 6+6 b
160 Qu'un chant de Lamartine a bien plus d'avenir, 6+6 b
Et même, à tout bien prendre, est cent fois plus utile 6+6 a
Que tout le bavardage impuissant et futile 6+6 a
De ces nains rabougris, passereaux d'un moment. 6+6 b
Qui, dans l'illusion de leur enivrement, 6+6 b
165 S' égalant à l'oiseau du maître du tonnerre, 6+6 a
Se font un méchant nid qu'ils prennent pour une aire ; 6+6 a
Parce qu'en moins d'un jour ces hommes passeront. 6+6 b
Et que pas un d'eux tous n'a son étoile au front. 6+6 b
L'heure ne saurait donc être plus mal choisie 6+6 a
170 Pour risquer au grand jour ta jeune poésie, 6+6 a
Et déjà je te vois, isolé, pauvre et nu, 6+6 b
Végéter dans la foule et mourir inconnu. 6+6 b
je sens ce que le siècle, en son indifférence, 6+6 a
A mon ambition doit laisser d'espérance, 6+6 a
175 Et j'ai su prudemment, dans mes prévisions, 6+6 b
Rabattre ce qu'il faut de mes prétentions. 6+6 b
je sais ce que je vaux, et je me rends justice ; 6+6 a
Aussi je n'attends pas que ton nom retentisse, 6+6 a
Ni que dès ton début, à tes accens vainqueurs, 6+6 b
180 Un écho se réveille au fond de tous les cœurs ; 6+6 b
Je n'ai point espéré qu'un boisseau de semence 6+6 a
Produirait dans l'année une récolte immense, 6+6 a
J'ai mis mes vœux moins haut : pourvu que le bon grain 6+6 b
Puisse de temps en temps trouver le bon terrain : 6+6 b
185 Pourvu qu'avec amour ma parole arrosée 6+6 a
Germe dans l'angle obscur de quelqu' humble croisée, 6+6 a
C'est là tout mon espoir, c'est le plus beau loyer 6+6 b
Dont ma peine et mes soins se puissent voir payer. 6+6 b
Ainsi va, mon enfant : — Que les frères d'Hélène, 6+6 a
190 Que les tièdes zéphirs, de leur humide haleine, 6+6 a
Te guident, ô vaisseau ! toi qui portes ici 6+6 b
La moitié de mon âme et mon Virgile aussi ! 6+6 b
Puissent-ils te frayer une route facile 6+6 a
A travers les écueils de la mer de Sicile, 6+6 a
195 Afin que, te sachant sain et sauf, et comment 6+6 b
Ils t'ont fait dans Ostie aborder mollement, 6+6 b
J'appende à ton retour, comme une mère antique. 6+6 a
Une offrande votive au foyer domestique, 6+6 a
Et porte sur l'autel qui reçut nos adieux 6+6 b
200 Une génisse blanche en sacrifice aux Dieux ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 100((aa))
logo du CRISCO logo de l'université