MES VOISINS |
Ma harpe, hélas ! brisée,
e larmes arrosée,
N’a plus d’accords mélodieux,
D’accents joyeux.
|
(Chant hébraïque.)
|
|
|
Qu’avons-nous fait, Seigneur ? Sous votre main terrible, |
12 |
|
Tremblants, nous nous courbons ; vous restes insensible |
12 |
|
A notre sombre angoisse, et sur l’aile des vents |
12 |
|
nous arrive sans cesse un grand bruit de bataille, |
12 |
5 |
Et ce cri des mourants hachés par la mitraille : |
12 |
|
Pitié, mon Dieu ! pour vos enfants ! |
8 |
|
|
Pourquoi détournez-vous les yeux de nos misères ? |
12 |
|
A de larmes sans fin condamnez.vous les mères, |
12 |
|
Les épouses, les sœurs ? Martyres de douleur, |
12 |
10 |
Boiront-elles longtemps la coupe de souffrance, |
12 |
|
Sans qu’un rayon divin, sans qu’un mot d’espérance |
12 |
|
Descende des cieux en leur cœur ? |
8 |
|
|
Hélas ! n’attendons rien ! Quand l’aigle, de ses ailes, |
12 |
|
S’élève triomphant aux voûtes éternelles, |
12 |
15 |
Soudan la foudre éclate ! un lumineux sillon |
12 |
|
Le jette tout meurtri par delà les espaces ; |
12 |
|
Pour la première fois il imprime les traces |
12 |
|
De sa serre sur le vallon ! |
8 |
|
|
Dans son œuvre de mort, le même coup qui tue |
12 |
20 |
Celui dont le regard ose percer la nue |
12 |
|
Frappe aussi sous le bois le tendre passereau : |
12 |
|
Il veut en vain sauver sa naissante famille, |
12 |
|
Le feu consume tout : moisson, forêt, charmille ! |
12 |
|
Son nid lui tient lieu de tombeau. |
8 |
|
25 |
Et nous, pauvres humains, inutile poussière, |
12 |
|
A la fureur des vents nous saurions nous soustraire, |
12 |
|
Échapper au Dieu juste et braver le Dieu fort ? |
12 |
|
Allez, allez, mes vers, la douleur vous réclame, |
12 |
|
De jours infortunés recomposez la trame ; |
12 |
30 |
Chantez l’amour, chantez la mort ! |
8 |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
C’est un roman bien simple : — |
|
|
C’est un roman bien simple : — En ces temps de tourmente, |
|
|
Une mère, sa fille, avaient planté leur tente |
12 |
|
Non loin de mon chalet, au détour du chemin ; |
12 |
|
A toute heure arrivaient sur notre belle plage |
12 |
35 |
Les débris mutilés de la lutte sauvage |
12 |
|
Commencée aux rives du Rhin. |
8 |
|
|
Un soir, on fit appel aux âmes charitables. |
12 |
|
Le village était plein : maisons, hangars, étables, |
12 |
|
Regorgeaient de blessés : le flot montait toujours ! |
12 |
40 |
Sans cesse il nous jetait de sanglantes épaves, |
12 |
|
Par la fièvre minés, des bataillons de braves, |
12 |
|
Sans jamais arrêter son cours. |
8 |
|
|
Oh ! que pour l’un d’entre eux la tempête était forte ! |
12 |
|
A peine, en se traînant, eut-il franchi la porte |
12 |
45 |
Où deux anges du ciel l’attendaient souriants, |
12 |
|
Que son cœur déborda : la brillante Espérance |
12 |
|
Lui fit revoir sa sœur, sa mère, son enfance… |
12 |
|
Le soleil après les autans ! |
8 |
|
|
A la mère il disait : « Parlez, parlez sans cesse, |
12 |
50 |
Le son de votre voix me soulage et m’oppresse ; |
12 |
|
Je me sens à la fois et sourire et pleurer. » |
12 |
|
Puis à l’enfant : « Calmez ma souffrance cruelle, |
12 |
|
« Avec vos yeux si bons : que votre âme se mêle |
12 |
|
A mon âme avant d’expirer ! » |
8 |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
55 |
Depuis, j’ai vu souvent une main vigilante |
12 |
|
Diriger avec soin sa marche chancelante, |
12 |
|
Un beau bras arrondi lui servir de soutien. |
12 |
|
Mais que de fois aussi la belle jeune fille |
12 |
|
Guidait ses pas tremblants sous l’épaisse charmille, |
12 |
60 |
Son regard perdu dans le sien ! |
8 |
|
|
Et quand venait la nuit, quand la voix maternelle |
12 |
|
Rappelait au foyer le couple un peu rebelle, |
12 |
|
Ils suspendaient tous deux le moment du retour. |
12 |
|
Elle arrêtait ses pas, et sa main enfantine, |
12 |
65 |
Jouant avec les croix qui couvraient sa poitrine, |
12 |
|
Les interrogeait tour à tour. |
8 |
|
|
Alors il redisait toujours la même histoire, |
12 |
|
Celle de ses combats : la dernière victoire |
12 |
|
Qui lui valait enfin l’étoile de l’honneur ! |
12 |
70 |
L’un près de l’autre assis, les mains entrelacées, |
12 |
|
Ils se sentaient ravis dans les mêmes pensées, |
12 |
|
Tels qu’à l’aurore du bonheur !… |
8 |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
Mais un cri déchirant dans l’ombre et le silence |
12 |
|
A retenti soudain !… une femme s’élance, |
12 |
75 |
De sa fille suivie, au chevet du blessé. |
12 |
|
Le sang coule à longs flots sur sa blanche poitrine, |
12 |
|
Son souffle diminue et sa tête s’incline |
12 |
|
Sur son buste raide et glacé. |
8 |
|
|
La vierge a tout compris !… son amour se révèle ! |
12 |
80 |
L’œil hagard, presque nue, ô grand Dieu ! qu’elle est belle |
12 |
|
Quand, près du lit fatal se traînant à genoux, |
12 |
|
Elle saisit la main qui pend hors de la couche, |
12 |
|
Cherche à la réchauffer sur son cœur, sur sa bouche, |
12 |
|
En murmurant le nom d’époux ! |
8 |
|
85 |
Et puis elle a couru, bravant ronces et pierres, |
12 |
|
Sous des flocons de neige, à travers les bruyères, |
12 |
|
Criant à chaque porte : « Un prêtre ! un médecin ! » |
12 |
|
Son beau corps frissonnait sous sa légère mante, |
12 |
|
Ses dents claquaient,… sa voix était toute tremblante, |
12 |
90 |
La fièvre soulevait son sein ! |
8 |
|
|
D’un seul mot le docteur a calmé leurs alarmes ; |
12 |
|
Un rayon de bonheur s’est glissé sous leurs larmes ; |
12 |
|
Mais de la jeune fille il a palpé la main, |
12 |
|
Observé la pâleur sur son front répandue, |
12 |
95 |
Puis il a dit bien bas à la mère éperdue : |
12 |
|
« Veillez, je reviendrai demain. » |
8 |
|
|
Vains efforts ! il n’a pu contenir les ravages |
12 |
|
De l’horrible fléau qui décimait nos plages ; |
12 |
|
La Mort planait déjà sur la sublime enfant, |
12 |
100 |
Et, broyant sa beauté dans ses mains décharnées, |
12 |
|
De son souffle, brûlant ses trop courtes années, |
12 |
|
Elle en jetait la cendre au vent. |
8 |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
Maintenant tout est dit ! Pour cette infortunée, |
12 |
|
La tombe a remplacé la couche d’hyménée ; |
12 |
105 |
La rose s’est flétrie au souffle âpre du nord. |
12 |
|
Sur son lit virginal, dans une sainte pose, |
12 |
|
Le Christ entre les doigts, elle est là qui repose, |
12 |
|
Pareille à l’enfant qui s’endort. |
8 |
|
|
La cloche des mourants lentement ébranlée, |
12 |
110 |
De son lugubre glas inondant la vallée, |
12 |
|
Annonce qu’un chrétien aux cieux est remonté ; |
12 |
|
Qu’une âme, dépouillant les misères humaines, |
12 |
|
Du terrestre esclavage enfin brisant les chaînes, |
12 |
|
Entre dans son éternité ! |
8 |
|
115 |
Mais celui qu’elle aima croit saisir dans la brise, |
12 |
|
Dans le chant de l’oiseau, dans le flot qui se brise, |
12 |
|
Comme un écho lointain de son suprême adieu, |
12 |
|
Quand, du geste, écartant la dernière agonie, |
12 |
|
Sa bouche murmurait : « Oh ! que c’est beau, la vie ! |
12 |
120 |
Pourquoi me la prendre, mon Dieu ! » |
8 |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
On a placé sa tombe au fond du cimetière, |
12 |
|
Où souvent on la vit faire une humble prière |
12 |
|
Sans songer que bientôt elle allait y dormir. |
12 |
|
La Jeunesse, à vos yeux, Seigneur, est donc un crime, |
12 |
125 |
Que vous l’avez fait naître, innocente victime, |
12 |
|
Pour aimer un jour… et mourir ? |
8 |
|
|
Chacun a mis sa pierre au triste mausolée. |
12 |
|
Le marbre représente une femme voilée, |
12 |
|
Le front sur ses genoux, en longs habits de deuil. |
12 |
130 |
Debout à ses côtés, l’ange de l’Espérance, |
12 |
|
Le sein percé d’un glaive, emblème de la France, |
12 |
|
Jette des fleurs sur un cercueil. |
8 |
|
|
Ses yeux semblent au ciel lancer une menace, |
12 |
|
Mais son triste sourire implorer une grâce ; |
12 |
135 |
Sur un livre entr’ouvert son doigt s’est arrêté ; |
12 |
|
On y lit une date… un nom… ces mots sublimes |
12 |
|
Qui montent des vallons jusqu’aux plus hautes cimes : |
12 |
|
« Martyre de sa charité ! » |
8 |
|
Arcachon, décembre 1870
|