Métrique en Ligne
AIC_2/AIC41
Jean AICARD
Les Jeunes Croyances
Le Rachat de la Tour
1867
IV
VII
MISÈRE ET SOLEIL
À M. L. Laurent-Pichat.
Êtes-vous quelquefois, rêveur, passé devant 6+6 a
Des baraques de bois qui craquaient à tout vent ? 6+6 a
Il faisait froid et chaud. C’était quelque dimanche ; 6+6 b
Un être maigre et laid sautait sur une planche ; 6+6 b
5 Il riait. Il était revêtu d’un lambeau. 6+6 a
Homme ou femme, il sautait. Beaucoup le trouvaient beau, 6+6 a
Et beaucoup admiraient ses paillettes de cuivre, 6+6 b
Sans songer qu’il riait de la sorte pour vivre. 6+6 b
Et si vous avez vu, dites, qu’aimez-vous mieux 6+6 a
10 Du saltimbanque triste ou du public joyeux ? 6+6 a
Avez-vous traversé jamais de vieilles rues ? 6+6 b
Les femmes, en haillons, sur vos pas accourues, 6+6 b
Deux enfants sur les bras, vous ont-elles montré 6+6 a
Leur misère vivante, et là, le cœur navré, 6+6 a
15 Insulté des petits, heurté de quelque homme ivre, 6+6 b
Effrayé de la mort, pris du dégoût de vivre, 6+6 b
N’avez-vous pas songé : « D’où vient que le ciel bleu 6+6 a
Brille sans s’émouvoir et sans trahir un Dieu ? » 6+6 a
Pour moi j’ai contemplé ces choses. Par la ville 6+6 b
20 J’erre souvent. Je plains notre humanité vile, 6+6 b
Et je répète en moi que si l’homme ici-bas 6+6 a
N’est pas heureux, c’est que son prochain ne veut pas. 6+6 a
Le riche est lâche. Il faut qu’on jeûne quand il mange ! 6+6 b
Et je contemple alors le ciel,… et c’est étrange ! 6+6 b
25 Or, hier, j’ai voulu fuir l’homme et marcher vers Dieu ; 6+6 a
J’ai pris la mer. Le vent chantait sous l’azur bleu, 6+6 a
Et je songeais qu’il faut que tout esprit travaille 6+6 b
À livrer au malheur la dernière bataille ; 6+6 b
Et je fuyais toujours loin de terre, croyant 6+6 a
30 Trouver un peu de paix sous l’espace brillant. 6+6 a
Mais je vis des forçats qui ramaient sous la chaîne ; 6+6 b
Des matelots grimpaient dans les mâts avec peine ; 6+6 b
Un vieux pêcheur tendait vainement l’hameçon, 6+6 a
Et soudain j’entendis un grand bruit. Le canon 6+6 a
35 Tonnait, et cette poudre avait coûté des sommes 6+6 b
Plus fortes qu’il ne faut pour nourrir bien des hommes. 6+6 b
Les Léviathans noirs étaient prêts aux combats. 6+6 a
Sur ces monstres de fer hurlait le branle-bas 6+6 a
Alors je détournai les yeux vers la campagne : 6+6 b
40 La Guerre, un fort debout sur la haute montagne, 6+6 b
Disait : « C’est moi qui suis le maître tout-puissant : 6+6 a
Je veux vivre ! je veux des larmes et du sang ! » 6+6 a
Sombre, je me penchai pour voir au fond de l’onde : 6+6 b
C’était confus. Pourtant j’entrevis tout un monde, 6+6 b
45 Tout un monde hideux qui roulait vaguement 6+6 a
Sous les flots, et des yeux terribles, par moment 6+6 a
Me lançaient comme un dard leur clarté surhumaine ; 6+6 b
D’horreur et de pitié ma jeune âme était pleine, 6+6 b
Et je m’enfuis. Le vent chantait sous l’azur bleu 6+6 a
50 Je gagnai la cité des morts pour chercher Dieu ! 6+6 a
Les cyprès pleuraient seuls, quand j’entrai, sur les fosses ; 6+6 b
D’ailleurs, partout la joie ou bien des larmes fausses ; 6+6 b
Les moineaux francs, nombreux, chantaient devant la mort ; 6+6 a
J’étais calme ; j’étais tout tranquille d’abord. 6+6 a
55 On portait un enfant qu’on jeta dans la terre, 6+6 b
Et les suivants riaient devant le grand mystère. 6+6 b
Ce rire me navra. Là, des tombeaux ouverts 6+6 a
Attendaient leurs cercueils pour être recouverts, 6+6 a
Et sur d’autres, ici, poussaient de folles herbes ; 6+6 b
60 D’autres étaient chargés de sculptures superbes 6+6 b
Ma tristesse grandit, car la société 6+6 a
Étalait encor là toute sa vanité ! 6+6 a
Et devant ce néant et ces bouffonneries, 6+6 b
Ces festons de papier et ces verroteries, 6+6 b
65 Indigné, je criai, niant toute vertu : 6+6 a
« Impassible Soleil, pour qui resplendis-tu, 6+6 a
Et que fais-tu là-haut à regarder la Terre ? » 6+6 b
Et j’entendis les morts me répondre : « Il espère ! » 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 34((aa))
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