Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
ACK_2/ACK41
Louise-Victorine ACKERMANN
POÉSIES PHILOSOPHIQUES
1871
XIX
Le Déluge
À Victor Hugo
LE VIEUX MONDE
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Dieu t'a dit : « Ne va pas plus loin, ô flot amer ! »
Mais quoi ! tu m'engloutis ! Au secours, Dieu ! La mer
Désobéit ! la mer envahit mon refuge !
LE FLOT
Tu me crois la marée, et je suis le déluge.
Épilogue de l'Année Terrible.
Tu l'as dit : C'en est fait ; ni fuite ni refuge 6+6 a
Devant l'assaut prochain et furibond des flots. 6+6 b
Ils avancent toujours. C'est sur ce mot, Déluge, 6+6 a
Poète de malheur, que ton livre s'est clos. 6+6 b
5 Mais comment osa-t-il échapper à ta bouche ? 6+6 a
Ah ! pour le prononcer, même au dernier moment, 6+6 b
Il fallait ton audace et ton ardeur farouche, 6+6 a
Tant il est plein d'horreur et d'épouvantement. 6+6 b
Vous êtes avertis : c'est une fin de monde 6+6 a
10 Que ces flux, ces rumeurs, ces agitations. 6+6 b
Nous n'en sommes encor qu'aux menaces de l'onde, 6+6 a
A demain les fureurs et les destructions. 6+6 b
Déjà depuis longtemps, saisis de terreurs vagues, 6+6 a
Nous regardions la mer qui soulevait son sein, 6+6 b
15 Et nous nous demandions : « Que veulent donc ces vagues ? 6+6 a
On dirait qu'elles ont quelque horrible dessein. » 6+6 b
Tu viens de le trahir ce secret lamentable ; 6+6 a
Grâce à toi, nous savons à quoi nous en tenir. 6+6 b
Oui, le Déluge est là, terrible, inévitable ; 6+6 a
20 Ce n'est pas l'appeler que de le voir venir. 6+6 b
Pourtant, nous l'avouerons, si toutes les colères 6+6 a
De ce vaste océan qui s'agite et qui bout, 6+6 b
N'allaient qu'à renverser quelques tours séculaires 6+6 a
Que nous nous étonnions de voir encor debout, 6+6 b
25 Monuments que le temps désagrège ou corrode, 6+6 a
Et qui nous inspiraient une secrète horreur : 6+6 b
Obstacles au progrès, missel usé, vieux code, 6+6 a
Où se réfugiaient l'injustice et l'erreur, 6+6 b
Des autels délabrés, des trônes en décombre 6+6 a
30 Qui nous rétrécissaient à dessein l'horizon, 6+6 b
Et dont les débris seuls projetaient assez d'ombre 6+6 a
Pour retarder longtemps l'humaine floraison, 6+6 b
Nous aurions à la mer déjà crié : « Courage ! 6+6 a
Courage ! L'œuvre est bon que ton onde accomplit. » 6+6 b
35 Mais quoi ! ne renverser qu'un môle ou qu'un barrage ? 6+6 a
Ce n'est pas pour si peu qu'elle sort de son lit. 6+6 b
Ses flots, en s'élançant par-dessus toute cime, 6+6 a
N'obéissent, hélas ! qu'à d'aveugles instincts. 6+6 b
D'ailleurs, sachez-le bien, ces enfants de l'abîme, 6+6 a
40 Pour venir de plus bas, n'en sont que plus hautains. 6+6 b
Rien ne satisfera leur convoitise immense. 6+6 a
Dire : « Abattez ceci, mais respectez cela, » 6+6 b
N'amènerait en eux qu'un surcroît de démence ; 6+6 a
On ne fait point sa part à cet Océan-là. 6+6 b
45 Ce qu'il lui faut, c'est tout. Le même coup de houle 6+6 a
Balaiera sous les yeux de l'homme épouvanté 6+6 b
Le phare qui s'élève et le temple qui croule, 6+6 a
Ce qui voilait le jour ou donnait la clarté, 6+6 b
L'obscure sacristie et le laboratoire, 6+6 a
50 Le droit nouveau, le droit divin et ses décrets, 6+6 b
Le souterrain profond et le haut promontoire 6+6 a
D'où nous avions déjà salué le Progrès. 6+6 b
Tout cela ne fera qu'une ruine unique. 6+6 a
Avenir et passé s'y vont amonceler. 6+6 b
55 Oui, nous le proclamons, ton Déluge est inique : 6+6 a
Il ne renversera qu'afin de niveler. 6+6 b
Si nous devons bientôt, des bas-fonds en délire, 6+6 a
Le voir s'avancer, fier de tant d'écroulements, 6+6 b
Du moins nous n'aurons pas applaudi de la lyre 6+6 a
60 Au triomphe futur d'ignobles éléments. 6+6 b
Nous ne trouvons en nous que des accents funèbres, 6+6 a
Depuis que nous savons l'affreux secret des flots. 6+6 b
Nous voulions la lumière, ils feront les ténèbres ; 6+6 a
Nous rêvions l'harmonie, et voici le chaos. 6+6 b
65 Vieux monde, abîme-toi, disparais, noble arène 6+6 a
Où jusqu'au bout l'Idée envoya ses lutteurs, 6+6 b
Où le penseur lui-même, à sa voix souveraine, 6+6 a
Pour combattre au besoin, descendait des hauteurs. 6+6 b
Tu ne méritais pas, certe, un tel cataclysme, 6+6 a
70 Toi si fertile encore, ô vieux sol enchanté ! 6+6 b
D'où pour faire jaillir des sources d'héroïsme, 6+6 a
Il suffisait d'un mot, Patrie ou Liberté ! 6+6 b
Un océan fangeux va couvrir de ses lames 6+6 a
Tes sillons où germaient de sublimes amours, 6+6 b
75 Terrain cher et sacré, fait d'alluvions d'âmes, 6+6 a
Et qui ne demandais qu'a t'exhausser toujours. 6+6 b
Que penseront les cieux et que diront les astres, 6+6 a
Quand leurs rayons en vain chercheront tes sommets, 6+6 b
Et qu'ils assisteront d'en haut à tes désastres, 6+6 a
80 Eux qui croyaient pouvoir te sourire à jamais ? 6+6 b
De quel œil verront-ils, du fond des mers sans borne, 6+6 a
A la place où jadis s'étalaient tes splendeurs, 6+6 b
Émerger brusquement dans leur nudité morne, 6+6 a
Des continents nouveaux sans verdure et sans fleurs ? 6+6 b
85 Ah ! si l'attraction à la céleste voûte 6+6 a
Par de fermes liens ne las attachait pas, 6+6 b
Ils tomberaient du ciel ou changeraient de route, 6+6 a
Plutôt que d'éclairer un pareil ici-bas. 6+6 b
Nous que rien ne retient, nous, artistes qu'enivre 6+6 a
90 L'Idéal qu'ardemment poursuit notre désir, 6+6 b
Du moins nous n'aurons point la douleur de survivre 6+6 a
Au monde où nous avions espéré le saisir. 6+6 b
Nous serons les premiers que les vents et que l'onde 6+6 a
Emporteront brisés en balayant nos bords. 6+6 b
95 Dans les gouffres ouverts d'une mer furibonde, 6+6 a
N'ayant pu les sauver, nous suivrons nos trésors. 6+6 b
Après tout, quand viendra l'heure horrible et fatale. 6+6 a
En plein déchaînement d'aveugles appétits, 6+6 b
Sous ces flots gros de haine et de rage brutale, 6+6 a
100 Les moins à plaindre encor seront les engloutis. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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