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ACK_2/ACK33
Louise-Victorine ACKERMANN
POÉSIES PHILOSOPHIQUES
1871
XI
La Guerre
À la mémoire de mon neveu
Le lieutenant Victor Fabrègue
Tué à Gravelotte.
I
Du fer, du feu, du sang ! C'est elle ! c'est la Guerre 6+6 a
Debout, le bras levé, superbe en sa colère, 6+6 a
Animant le combat d'un geste souverain. 6+6 b
Aux éclats de sa voix s'ébranlent les armées ; 6+6 c
5 Autour d'elle traçant des lignes enflammées, 6+6 c
Les canons ont ouvert leurs entrailles d'airain. 6+6 b
Partout chars, cavaliers, chevaux, masse mouvante ! 6+6 a
En ce flux et reflux, sur cette mer vivante, 6+6 a
A son appel ardent l'épouvante s'abat. 6+6 b
10 Sous sa main qui frémit, en ses desseins féroces, 6+6 c
Pour aider et fournir aux massacres atroces 6+6 c
Toute matière est arme, et tout homme soldat. 6+6 b
Puis, quand elle a repu ses yeux et ses oreilles 6+6 a
De spectacles navrants, de rumeurs sans pareilles, 6+6 a
15 Quand un peuple agonise en son tombeau couché, 6+6 b
Pâle sous ses lauriers, l'âme d'orgueil remplie, 6+6 c
Devant l'œuvre achevée et la tâche accomplie, 6+6 c
Triomphante elle crie à la Mort : « Bien fauché ! » ! 6+6 b
Oui, bien fauché ! Vraiment la récolte est superbe ; 6+6 a
20 Pas un sillon qui n'ait des cadavres pour gerbe ! 6+6 a
Les plus beaux, les plus forts sont les premiers frappés. 6+6 b
Sur son sein dévasté qui saigne et qui frissonne 6+6 c
L'Humanité, semblable au champ que l'on moissonne, 6+6 c
Contemple avec douleur tous ces épis coupés. 6+6 b
25 Hélas ! au gré du vent et sous sa douce haleine 6+6 a
Ils ondulaient au loin, des coteaux à la plaine, 6+6 a
Sur la tige encor verte attendant leur saison. 6+6 b
Le soleil leur versait ses rayons magnifiques ; 6+6 c
Riches de leur trésor, sous les cieux pacifiques, 6+6 c
30 Ils auraient pu mûrir pour une autre moisson. 6+6 b
II
Si vivre c'est lutter, à l'humaine énergie 6+6 a
Pourquoi n'ouvrir jamais qu'une arène rougie ? 6+6 a
Pour un prix moins sanglant que les morts que voilà 6+6 b
L'homme ne pourrait-il concourir et combattre ? 6+6 c
35 Manque-t-il d'ennemis qu'il serait beau d'abattre ? 6+6 c
Le malheureux ! il cherche, et la Misère est là ! 6+6 b
Qu'il lui crie : « A nous deux ! » et que sa main virile 6+6 a
S'acharne sans merci contre ce flanc stérile 6+6 a
Qu'il s'agit avant tout d'atteindre et de percer. 6+6 b
40 A leur tour, le front haut, l'Ignorance et le Vice, 6+6 c
L'un sur l'autre appuyé, l'attendent dans la lice : 6+6 c
Qu'il y descende donc, et pour les terrasser. 6+6 b
A la lutte entraînez les nations entières. 6+6 a
Délivrance partout ! effaçant les frontières, 6+6 a
45 Unissez vos élans et tendez-vous la main. 6+6 b
Dans les rangs ennemis et vers un but unique, 6+6 c
Pour faire avec succès sa trouée héroïque, 6+6 c
Certes ce n'est pas trop de tout l'effort humain. 6+6 b
L'heure semblait propice, et le penseur candide 6+6 a
50 Croyait, dans le lointain d'une aurore splendide, 6+6 a
Voir de la Paix déjà poindre le front tremblant. 6+6 b
On respirait. Soudain, la trompette à la bouche, 6+6 c
Guerre, tu reparais, plus âpre, plus farouche, 6+6 c
Écrasant le progrès sous ton talon sanglant. 6+6 b
55 C'est à qui le premier, aveuglé de furie, 6+6 a
Se précipitera vers l'immense tuerie. 6+6 a
A mort ! point de quartier ! L'emporter ou périr ! 6+6 b
Cet inconnu qui vient des champs ou de la forge 6+6 c
Est un frère ; il fallait l'embrasser, — on l'égorge. 6+6 c
60 Quoi ! lever pour frapper des bras faits pour s'ouvrir ! 6+6 b
Les hameaux, les cités s'écroulent dans les flammes. 6+6 a
Les pierres ont souffert ; mais que dire des âmes ? 6+6 a
Près des pères les fils gisent inanimés. 6+6 b
Le Deuil sombre est assis devant les foyers vides, 6+6 c
65 Car ces monceaux de morts, inertes et livides, 6+6 c
Étaient des cœurs aimants et des êtres aimés. 6+6 b
Affaiblis et ployant sous la tâche infinie, 6+6 a
Recommence, Travail ! rallume-toi, Génie ! 6+6 a
Le fruit de vos labeurs est broyé, dispersé. 6+6 b
70 Mais quoi ! tous ces trésors ne formaient qu'un domaine ; 6+6 c
C'était le bien commun de la famille humaine, 6+6 c
Se ruiner soi-même, ah ! c'est être insensé ! 6+6 b
Guerre, au seul souvenir des maux que tu déchaînes, 6+6 a
Fermente au fond des cœurs le vieux levain des haines ; 6+6 a
75 Dans le limon laissé par tes flots ravageurs 6+6 b
Des germes sont semés de rancune et de rage, 6+6 c
Et le vaincu n'a plus, dévorant son outrage, 6+6 c
Qu'un désir, qu'un espoir : enfanter des vengeurs. 6+6 b
Ainsi le genre humain, à force de revanches, 6+6 a
80 Arbre découronné, verra mourir ses branches, 6+6 a
Adieu, printemps futurs ! Adieu, soleils nouveaux ! 6+6 b
En ce tronc mutilé la sève est impossible. 6+6 c
Plus d'ombre, plus de fleurs ! et ta hache inflexible, 6+6 c
Pour mieux frapper les fruits, a tranché les rameaux. 6+6 b
III
85 Non, ce n'est point à nous, penseur et chantre austère, 6+6 a
De nier les grandeurs de la mort volontaire ; 6+6 a
D'un élan généreux il est beau d'y courir. 6+6 b
Philosophes, savants, explorateurs, apôtres, 6+6 c
Soldats de l'Idéal, ces héros sont les nôtres : 6+6 c
90 Guerre ! ils sauront sans toi trouver pour qui mourir. 6+6 b
Mais à ce fier brutal qui frappe et qui mutile, 6+6 a
Aux exploits destructeurs, au trépas inutile, 6+6 a
Ferme dans mon horreur, toujours je dirai : « Non ! » 6+6 b
O vous que l'Art enivre ou quelque noble envie, 6+6 c
95 Qui, débordant d'amour, fleurissez pour la vie, 6+6 c
On ose vous jeter en pâture au canon ! 6+6 b
Liberté, Droit, Justice, affaire de mitraille ! 6+6 a
Pour un lambeau d'État, pour un pan de muraille, 6+6 a
Sans pitié, sans remords, un peuple est massacré. 6+6 b
100 — Mais il est innocent ! — Qu'importe ? On l'extermine. 6+6 c
Pourtant la vie humaine est de source divine : 6+6 c
N'y touchez pas, arrière ! Un homme, c'est sacré ! 6+6 b
Sous des vapeurs de poudre et de sang, quand les astres 6+6 a
Pâlissent indignés parmi tant de désastres, 6+6 a
105 Moi-même à la fureur me laissant emporter, 6+6 b
Je ne distingue plus les bourreaux des victimes ; 6+6 c
Mon âme se soulève, et devant de tels crimes 6+6 c
Je voudrais être foudre et pouvoir éclater. 6+6 b
Du moins te poursuivant jusqu'en pleine victoire, 6+6 a
110 A travers tes lauriers, dans les bras de l'Histoire 6+6 a
Qui, séduite, pourrait t'absoudre et te sacrer, 6+6 b
O Guerre, Guerre impie, assassin qu'on encense, 6+6 c
Je resterai, navrée et dans mon impuissance, 6+6 c
Bouche pour te maudire, et cœur pour t'exécrer ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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