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ACK_2/ACK32
Louise-Victorine ACKERMANN
POÉSIES PHILOSOPHIQUES
1871
X
L’Homme à la Nature
À Madame Juglar
Eh bien ! reprends-le donc ce peu de fange obscure 6+6 a
Qui pour quelques instants s'anima sous ta main ; 6+6 b
Dans ton dédain superbe, implacable Nature, 6+6 a
Brise à jamais le moule humain. 8 b
5 De ces tristes débris quand tu verrais, ravie, 6+6 a
D'autres créations éclore à grands essaims, 6+6 b
Ton Idée éclater en des formes de vie 6+6 a
Plus dociles à tes desseins, 8 b
Est-ce à dire que Lui, ton espoir, ta chimère, 6+6 a
10 Parce qu'il fut rêvé, puisse un jour exister ? 6+6 b
Tu crois avoir conçu, tu voudrais être mère ; 6+6 a
A l'œuvre ! il s'agit d'enfanter. 8 b
Change en réalité ton attente sublime. 6+6 a
Mais quoi ! pour les franchir, malgré tous tes élans, 6+6 b
15 La distance est trop grande et trop profond l'abîme 6+6 a
Entre ta pensée et tes flancs. 8 b
La mort est le seul fruit qu'en tes crises futures 6+6 a
Il te sera donné d'atteindre et de cueillir ; 6+6 b
Toujours nouveaux débris, toujours des créatures 6+6 a
20 Que tu devras ensevelir. 8 b
Car sur ta route en vain l'âge à l'âge succède ; 6+6 a
Les tombes, les berceaux ont beau s'accumuler, 6+6 b
L'Idéal qui te fuit, l'Idéal qui t'obsède, 6+6 a
A l'infini pour reculer. 8 b
25 L'objet de ta poursuite éternelle et sans trêve 6+6 a
Demeure un but trompeur à ton vol impuissant 6+6 b
Et, sous le nimbe ardent du désir et du rêve, 6+6 a
N'est qu'un fantôme éblouissant. 8 b
Il resplendit de loin, mais reste inaccessible. 6+6 a
30 Prodigue de travaux, de luttes, de trépas, 6+6 b
Ta main me sacrifie à ce fils impossible ; 6+6 a
Je meurs, et Lui ne naîtra pas. 8 b
Pourtant je suis ton fils aussi ; réel, vivace, 6+6 a
Je sortis de tes bras des les siècles lointains ; 6+6 b
35 Je porte dans mon cœur, je porte sur ma face, 6+6 a
Le signe empreint des hauts destins. 8 b
Un avenir sans fin s'ouvrait ; dans la carrière 6+6 a
Le Progrès sur ses pas me pressait d'avancer ; 6+6 b
Tu n'aurais même encor qu'à lever la barrière : 6+6 a
40 Je suis là, prêt à m'élancer. 8 b
Je serais ton sillon ou ton foyer intense ; 6+6 a
Tu peux selon ton gré m'ouvrir ou m'allumer. 6+6 b
Une unique étincelle, ô mère ! une semence ! 6+6 a
Tout s'enflamme ou tout va germer. 8 b
45 Ne suis-je point encor seul à te trouver belle ? 6+6 a
J'ai compté tes trésors, j'atteste ton pouvoir, 6+6 b
Et mon intelligence, ô Nature éternelle ! 6+6 a
T'a tendu ton premier miroir. 8 b
En retour je n'obtiens que dédain et qu'offense. 6+6 a
50 Oui, toujours au péril et dans les vains combats ! 6+6 b
Éperdu sur ton sein, sans recours ni défense, 6+6 a
Je m'exaspère et me débats. 8 b
Ah ! si du moins ma force eût égalé ma rage, 6+6 a
Je l'aurais déchiré ce sein dur et muet : 6+6 b
55 Se rendant aux assauts de mon ardeur sauvage, 6+6 a
Il m'aurait livré son secret. 8 b
C'en est fait, je succombe, et quand tu dis : « J'aspire ! » 6+6 a
Je te réponds : « Je souffre ! » infirme, ensanglanté ; 6+6 b
Et par tout ce qui naît , par tout ce qui respire, 6+6 a
60 Ce cri terrible est répété. 8 b
Oui, je souffre ! et c'est toi, mère, qui m'extermines, 6+6 a
Tantôt frappant mes flancs, tantôt blessant mon cœur ; 6+6 b
Mon être tout entier, par toutes ses racines, 6+6 a
Plonge sans fond dans la douleur. 8 b
65 J'offre sous le soleil un lugubre spectacle. 6+6 a
Ne naissant, ne vivant que pour agoniser. 6+6 b
L'abîme s'ouvre ici, là se dresse l'obstacle : 6+6 a
Ou m'engloutir, ou me briser ! 8 b
Mais, jusque sous le coup du désastre suprême, 6+6 a
70 Moi, l'homme, je t'accuse à la face des cieux. 6+6 b
Créatrice, en plein front reçois donc l'anathème 6+6 a
De cet atome audacieux. 8 b
Sois maudite, ô marâtre ! en tes œuvres immenses, 6+6 a
Oui, maudite à ta source et dans tes éléments, 6+6 b
75 Pour tous tes abandons, tes oublis, tes démences, 6+6 a
Aussi pour tes avortements ! 8 b
Que la Force en ton sein s'épuise perte à perte ! 6+6 a
Que la Matière, à bout de nerf et de ressort, 6+6 b
Reste sans mouvement, et se refuse, inerte, 6+6 a
80 A te suivre dans ton essor ! 8 b
Qu'envahissant les cieux, l'Immobilité morne 6+6 a
Sous un voile funèbre éteigne tout flambeau, 6+6 b
Puisque d'un univers magnifique et sans borne 6+6 a
Tu n'as su faire qu'un tombeau ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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