Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ACK_2/ACK25
Louise-Victorine ACKERMANN
POÉSIES PHILOSOPHIQUES
1871
III
Les Malheureux
À Louise Read
La trompette a sonné. Des tombes entr'ouvertes 6+6 a
Les pâles habitants ont tout à coup frémi. 6+6 b
Ils se lèvent, laissant ces demeures désertes 6+6 a
Où dans l'ombre et la paix leur poussière a dormi. 6+6 b
5 Quelques morts cependant sont restés immobiles ; 6+6 a
Ils ont tout entendu, mais le divin clairon 6+6 b
Ni l'ange qui les presse à ces derniers asiles 6+6 a
Ne les arracheront. 6 b
« Quoi ! renaître ! revoir le ciel et la lumière, 6+6 a
10 Ces témoins d'un malheur qui n'est point oublié, 6+6 b
Eux qui sur nos douleurs et sur notre misère 6+6 a
Ont souri sans pitié ! 6 b
Non, non ! Plutôt la Nuit, la Nuit sombre, éternelle ! 6+6 a
Fille du vieux Chaos, garde-nous sous ton aile. 6+6 a
15 Et toi, sœur du Sommeil, toi qui nous as bercés, 6+6 b
Mort, ne nous livre pas ; contre ton sein fidèle 6+6 a
Tiens-nous bien embrassés. 6 b
Ah ! l'heure où tu parus est à jamais bénie ; 6+6 a
Sur notre front meurtri que ton baiser fut doux ! 6+6 b
20 Quand tout nous rejetait, le néant et la vie, 6+6 a
Tes bras compatissants, ô notre unique amie ! 6+6 a
Se sont ouverts pour nous. 6 b
Nous arrivions à toi, venant d'un long voyage, 6+6 a
Battus par tous les vents, haletants, harassés. 6+6 b
25 L'Espérance elle-même, au plus fort de l'orage, 6+6 a
Nous avait délaissés. 6 b
Nous n'avions rencontré que désespoir et doute, 6+6 a
Perdus parmi les flots d'un monde indifférent ; 6+6 b
Où d'autres s'arrêtaient enchantés sur la route, 6+6 a
30 Nous errions en pleurant. 6 b
Près de nous la Jeunesse a passé, les mains vides, 6+6 a
Sans nous avoir fêtés, sans nous avoir souri. 6+6 b
Les sources de l'amour sous nos lèvres avides, 6+6 a
Comme une eau fugitive, au printemps ont tari. 6+6 b
35 Dans nos sentiers brûlés pas une fleur ouverte. 6+6 c
Si, pour aider nos pas, quelque soutien chéri 6+6 b
Parfois s'offrait à nous sur la route déserte, 6+6 c
Lorsque nous les touchions, nos appuis se brisaient : 6+6 a
Tout devenait roseau quand nos cœurs s'y posaient. 6+6 a
40 Au gouffre que pour nous creusait la Destinée 6+6 a
Une invisible main nous poussait acharnée. 6+6 a
Comme un bourreau, craignant de nous voir échapper, 6+6 a
A nos côtés marchait le Malheur inflexible. 6+6 b
Nous portions une plaie à chaque endroit sensible, 6+6 b
45 Et l'aveugle Hasard savait où nous frapper. 6+6 a
Peut-être aurions-nous droit aux célestes délices ; 6+6 a
Non ! ce n'est point à nous de redouter l'enfer, 6+6 b
Car nos fautes n'ont pas mérité de supplices : 6+6 a
Si nous avons failli, nous avons tant souffert ! 6+6 b
50 Eh bien, nous renonçons même à cette espérance 6+6 a
D'entrer dans ton royaume et de voir tes splendeurs, 6+6 b
Seigneur ! nous refusons jusqu'à ta récompense, 6+6 a
Et nous ne voulons pas du prix de nos douleurs. 6+6 b
Nous le savons, tu peux donner encor des ailes 6+6 a
55 Aux âmes qui ployaient sous un fardeau trop lourd ; 6+6 b
Tu peux, lorsqu'il te plaît, loin des sphères mortelles, 6+6 a
Les élever à toi dans la grâce et l'amour ; 6+6 b
Tu peux, parmi les chœurs qui chantent tes louanges, 6+6 a
A tes pieds, sous tes yeux, nous mettre au premier rang, 6+6 b
60 Nous faire couronner par la main de tes anges, 6+6 a
Nous revêtir de gloire en nous transfigurant. 6+6 b
Tu peux nous pénétrer d'une vigueur nouvelle, 6+6 a
Nous rendre le désir que nous avions perdu 6+6 b
Oui, mais le Souvenir, cette ronce immortelle 6+6 a
65 Attachée à nos cœurs, l'en arracheras-tu ? 6+6 b
Quand de tes chérubins la phalange sacrée 6+6 a
Nous saluerait élus en ouvrant les saints lieux, 6+6 b
Nous leur crierions bientôt d'une voix éplorée : 6+6 a
« Nous élus ? nous heureux ? Mais regardez nos yeux ! 6+6 b
70 Les pleurs y sont encor, pleurs amers, pleurs sans nombre. 6+6 c
Ah ! quoi que vous fassiez, ce voile épais et sombre 6+6 c
Nous obscurcit vos cieux. » ! 6 b
Contre leur gré pourquoi ranimer nos poussières ? 6+6 a
Que t'en reviendra-t-il ? et que t'ont-elles fait ? 6+6 b
75 Tes dons mêmes, après tant d'horribles misères, 6+6 a
Ne sont plus un bienfait. 6 b
Au ! tu frappas trop fort en ta fureur cruelle. 6+6 a
Tu l'entends, tu le vois ! la Souffrance a vaincu. 6+6 b
Dans un sommeil sans fin, ô puissance éternelle ! 6+6 a
80 Laisse-nous oublier que nous avons vécu. » 6+6 b
mètre profils métriques : 6, 6+6
logo du CRISCO logo de l'université